Article "Vers la fin des dérives" - Que Choisir n°500 (février 2012)
Qu’il soit pratiqué selon les rites halal ou casher, l’abattage rituel, propre aux religions musulmane et juive, alimente régulièrement la polémique. Si la nouvelle réglementation satisfait en partie les associations de défense des animaux, bien des questions pratiques restent en suspens.
Première victoire pour les défenseurs des animaux : dorénavant, l’abattage rituel, sans étourdissement préalable, selon les rites halal ou casher, devrait être mieux encadré par la loi. Le décret n° 2011/2006 ainsi que l’arrêté qui l’accompagne, parus au Journal officiel du 28 décembre 2011, stipulent qu’à compter du 1er juillet prochain les établissements qui pratiquent ce type d’abattage devront préalablement obtenir une autorisation délivrée par la préfecture du département où ils sont implantés.
Toujours selon ce décret, l’agrément ne sera accordé à l’abattoir que si "le système d’enregistrement mis en place permet de vérifier que l’usage de la dérogation correspond à des commandes commerciales qui le nécessitent". En un mot, il s’agit d’un coup d’arrêt à la généralisation de l’abattage sans étourdissement pratiquée par les abattoirs industriels. Pour les associations, telles que la Fondation Brigitte Bardot et l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), qui ne cessent de dénoncer depuis des années cette évolution, ces mesures vont dans le bon sens.
Dans un communiqué, l’OABA s’est félicitée de «voir enfin le gouvernement prendre acte que l’abattage rituel sans étourdissement est et doit rester une pratique dérogatoire». L’offre dépasse la demande. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Selon une enquête menée en 2007 par la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) dans 274 abattoirs, 12% des bovins, 13% des veaux et 49% des ovins-caprins étaient abattus selon les rites musulmans et israélites. Des chiffres sans doute minorés, selon l’OABA dont l’enquête réalisée à la même époque était parvenue à des pourcentages nettement plus importants (28 pour les bovins, 43% pour les veaux et 62% pour les ovins-caprins). Les millions de carcasses issues de ce mode d’abattage excèdent donc très largement la demande des 7% de la population nationale concernée (soit 6 % de musulmans et 1% d’israélites). Dans un rapport remis en 2005 aux ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture (non publié officiellement mais téléchargeable sur le site www.abattagerituel.com), le Comité permanent de coordination des inspections (Coperci) à travers une « enquête sur le champ du halal » constatait déjà qu’une part "non négligeable de la viande abattue rituellement était vendue dans le circuit classique, sans mention particulière".
Comment en est-on arrivé là ? La réponse à cette question tient à la fois à des exigences religieuses et économiques. Par exemple, les israélites ne retiennent que les quartiers avant des bovins jusqu’à la huitième côte et rejettent la partie arrière qui contient le nerf sciatique déclaré impur par la Torah. Comme il est impensable d’envoyer à l’équarrissage des morceaux de choix, cette viande se retrouve dans le circuit de la boucherie classique. Il en va de même pour les nombreuses carcasses considérées comme impropres à la mise sur le marché casher pour diverses raisons (adhérence de la plèvre, anomalies internes, etc.) et donc "retoquées" par les contrôleurs rabbiniques.
Quant aux musulmans, leur consommation porte principalement sur les morceaux les moins chers, essentiellement les abats et les quartiers antérieurs.
Le recyclage des autres morceaux est resté marginal tant que le marché de la viande "rituelle" était limité. Mais le boom du halal dans les années 2000 a changé la donne. Pour des raisons essentiellement de rentabilité, l’abattage rituel sans étourdissement a eu tendance à se généraliser dans les abattoirs.
Les coûts de changement de chaîne du mode halal au mode non halal – et vice versa – incitent les abatteurs à supprimer l’étourdissement dans tous les cas. Par exemple, un abatteur qui reçoit une commande de 80 agneaux avec spécification en mode halal et 20 sans spécification halal, préfère en abattre 100 en mode halal, plutôt que stopper la chaîne et mettre en place une traçabilité. 20 agneaux halal seront donc vendus sans étiquetage au client qui n’a demandé aucune spécification, car la loi, très curieusement incomplète, n’oblige pas les viandes d’abattage rituel à être étiquetées comme telles, constate Florence Bergeaud-Blackler, docteure en sociologie et auteure avec Bruno Bernard de Comprendre le halal (éditions Edipro), lors d’un colloque sur le sujet organisé en 2011 par l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman. Aucun étiquetage n’est requis. Alors qu’ils n’ont jamais franchi la porte d’une boucherie halal ou casher, de nombreux consommateurs mangent donc à leur insu de la viande "rituelle". Ce n’est pas acceptable, s’insurge Christian Le Lann, le président de la Confédération de la boucherie et des charcutiers-traiteurs. Nous constatons que nos clients s’interrogent de plus en plus sur l’origine, le mode de production de la viande. Ils veulent notamment être assurés que la viande qu’ils achètent provient d’un mode d’abattage correspondant à leur éthique.
Même son de cloche chez les musulmans qui dénoncent l’opacité de la filière viande. "Nous aussi, nous achetons sans le savoir de la viande non halal. C’est grave, car pour l’islam, la mise à mort d’un animal est un acte sacré", déclare Fateh Kimouche, spécialiste du halal, créateur du blog Al-Kanz. Les grossistes font ce qu’ils veulent.
Cette absence de traçabilité, Que Choisir a pu la constater lors d’une visite sur le marché de gros de Rungis. Selon les desiderata du client, la viande est halal ou pas. "Avec l’informatique, c’est facile. On a un code spécial halal sur les carcasses issues de l’abattage rituel. Si le boucher demande de la viande halal, je mets le code sur la facture.
Et si au contraire le client n’en veut pas, c’est tout simple, j’enlève le code…", nous a ainsi déclaré un grossiste. Ni vu ni connu ! Le nouveau règlement va-t-il mettre fin à ces micmacs ? Pas si sûr. Car l’équilibre financier du marché de la viande halal et casher repose sur la commercialisation de leurs excédents dans le circuit "classique". Pour mieux informer les consommateurs, un amendement de la loi européenne sur l’étiquetage des produits alimentaires proposait d’apposer sur ces produits la mention "viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement". Après avoir été adopté par le parlement européen, il a finalement été retoqué par le Conseil de l’Union. Une victoire pour les gouvernements qui ne voulaient pas ouvrir la boîte de Pandore et risquer de stigmatiser certaines catégories de la population, et aussi pour l’industrie qui n’en voulait surtout pas. Mais une défaite pour les consommateurs, qui se voient privés une fois de plus de la liberté de choisir leur viande selon leur conscience et leurs croyances.
Que dit la loi ?
Depuis 1964, la loi française oblige les abatteurs à étourdir les animaux de boucherie avant la saignée, pour réduire la douleur au moment de la mise à mort, mais aussi par souci d’efficacité et afin d’assurer la sécurité du personnel. Selon les espèces, l’étourdissement peut être obtenu par un procédé mécanique (pistolet perforant ou assommant), électrique (pinces) ou gazeux (caisson ou tunnel). Quelles que soient ces techniques, elles sont, en principe, incompatibles avec l’abattage rituel. Pour le judaïsme comme pour l’islam, la mise à mort est un acte sacrificiel qui ne peut s’effectuer que sur un animal vivant et conscient. Ce dernier n’est donc pas étourdi avant la saignée. Le cou est coupé en un seul geste avec un long couteau très affûté. Accordée dans le cadre de la liberté des cultes, la dérogation à l’étourdissement préalable est légale en France et dans toute l’union européenne, comme le confirme le nouveau règlement européen sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (règlement n° 1099/2009 du 24/9/09). Toutefois, ce texte souligne la nécessite de respecter les procédures inscrites dans la loi, notamment l’immobilisation mécanique des animaux pendant la saignée ainsi que la nécessité de former les sacrificateurs. Des obligations qui ne sont pas toujours respectées dans les abattoirs français.
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* Viande halal : étourdir ou pas ?
* Mode d'abattage : qu'en est-il du risque sanitaire ?
* Souffrance animale : l'industrialisation du rituel
Une campagne nationale d'information a été affichée en 2011 sur 2266 panneaux. Le but : dénoncer les coulisses de l'abattage rituel et la réelle souffrance animale.
Que dit la loi ?
La directive européenne n° 93/119 du 22 décembre 1993 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort a été transposée en droit français en 1997. Les articles R. 214-65 et suivants du code rural disposent ainsi que « toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrances évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ».
La suspension des animaux conscients est strictement interdite à l’exception des volailles et lapins qui peuvent être suspendus en vue de leur étourdissement immédiat.
Cependant, afin de garantir le libre exercice de certains rites religieux, la réglementation européenne a prévu la possibilité pour les Etats membres de ne pas imposer l’étourdissement préalable des animaux. La France a fait le choix de cette dérogation puisque l’article R. 214-70 du code rural précise qu’il est possible de ne pas insensibiliser les animaux lors de leur abattage si l’étourdissement n’est pas compatible avec la pratique de l’abattage rituel.
Que pensent les Français ?
72 % des français désapprouvent la dérogation permettant de ne pas étourdir les animaux.
Quelle est la souffrance pour les animaux ?
Les bovins et les veaux perdent conscience relativement lentement après l’égorgement. Il n’est pas rare de voir une vache ou un taureau agoniser plus de 2 minutes après avoir été égorgé. L’animal cherche à respirer, à se relever. « C’est un spectacle difficilement soutenable » écrivaient les auteurs du rapport COPERCI (« Enquête sur le champ du Halal », Comité permanent de coordination des inspections, septembre 2005).
Le rapport d’expertise scientifique sur les douleurs animales, publié par l’INRA en décembre 2009 mentionne quant à lui des temps de perte de conscience chez les bovins supérieurs à 2 minutes pour 18% des animaux sacrifiés rituellement, pouvant aller jusqu’à 14 minutes.
Quelle est la destination de cette viande ?
Les consommateurs ne sont pas informés du mode d'abattage des animaux.
Dans le cadre de certains abattages rituels, les parties arrière des animaux ne sont pas consommées. De même, après inspection de la carcasse par le sacrificateur, il se peut que l’animal soit refusé en entier.
Dès lors, que devient cette viande provenant d’animaux égorgés sans étourdissement préalable ?
Elle est dirigée vers les circuits « classiques » et approvisionne boucheries, hypermarchés et restaurants sans aucune information pour le consommateur.
Les autorités, pleinement informées, ferment les yeux.
Le rapport COPERCI précisait déjà, en 2005, qu’une part « non négligeable de la viande abattue rituellement est vendue dans le circuit classique, sans mention particulière ». Une enquête menée en 2005 par les Directions départementales des services vétérinaires de Basse et Haute-Normandie, faisait ressortir des proportions très élevées : selon les abattoirs, jusqu’à 60 % de la viande abattue selon le rite musulman et plus de 70 % de la viande abattue selon le rite israélite se retrouveraient ainsi dans le circuit classique, à l’insu des consommateurs.
Que propose cette campagne ?
L'étourdissement pour tous les animaux.
Plus d'info sur www.abattagerituel.com